Interview Ado-Livres

Entretien autour d’ON N’ARRÊTE PAS LES COMÈTES, Syros, 2006
par la rédaction d’Ado-Livres, 8 février 2006

ADO-LiVRES : Sigrid Baffert, sans trop déflorer votre travail, pouvez-vous nous expliquer le sens du titre On n’arrête pas les comètes ?

Comme le personnage d’Émilien, j’aime l’astronomie. L’idée que l’on puisse observer la lumière d’étoiles mortes depuis des millions d’années me fascine. Ce titre s’est imposé à moi, parce qu’il portait en lui plusieurs métaphores essentielles. D’abord la vie trop vite interrompue de Sélène, la mère d’Aubin, avec l’image de la comète. Et puis ce constat d’impuissance qu’il existe parfois des forces que l’on ne peut maîtriser, ni retenir, malgré toute la bonne volonté du monde. Enfin il y a une grande note d’espoir. J’ai lu un jour que les comètes finissent toujours repasser au même endroit, quelle que soit la complexité de leur trajectoire. J’aime à penser qu’une comète revient toujours au voisinage de la terre. Comme la vie, qui revient faire un petit tour…

ADO-LiVRES : Selon vous, quelle est la qualité de votre roman, susceptible d’emporter l’adhésion des lecteurs adolescents ?

Il est difficile de répondre à une telle question… J’ai rencontré déjà de nombreux lecteurs autour de ce roman. Ce qui m’a frappé c’est qu’ils pressentent immédiatement que ce roman a un parfum de vécu, et c’est peut-être ce qui lui donne sa force et son humanité. La première question est toujours : « Est-ce inspiré d’une histoire vraie ? ». Il y a quelques années, j’aurais nié et je me serais cachée derrière le paravent de la fiction. Aujourd’hui, je suis apte à répondre : « Oui. J’ai perdu ma mère dans les mêmes circonstances qu’Aubin. », mais la réalité s’arrête là. Le reste est création. C’est ça : une re-création nécessaire. Le personnage central est celui d’un jeune lycéen, dans lequel certains lecteurs peuvent se reconnaître. Dans sa traversée du deuil et son passage brutal à l’âge adulte. Mais aussi dans ses relations avec son père, son grand-père, sa mère, ou encore avec la sculptrice, Hanna. Brusquement, Aubin décide de s’affranchir, de prendre seul son histoire en mains. Il prend des initiatives, défie l’autorité de son père, tient tête à son grand-père. Il est très audacieux avec Hanna. Malgré lui, la vie s’immisce à nouveau et le bouscule.

ADO-LiVRES : Quel est le personnage de votre roman auquel vous êtes la plus attachée ? Pourquoi ?

Un écrivain est un peu comme un comédien/metteur en scène, il se glisse forcément (à des degrés très divers, bien sûr) dans la peau de tous ses personnages. Au début, j’ai cru m’être surtout identifiée à Aubin. Je me trompais. J’ai laissé une part de moi dans chacun des personnages. C’était aussi une manière de répartir la charge affective. Chacun d’eux représente une attitude, un sentiment, une façon de vivre le deuil ; je suis moi-même passée par toutes ces phases. Il y a le mutisme (Émilien), le déni (Thomas), la sidération puis la colère et la volonté de comprendre (Aubin, au début du roman). Au fil du livre, avec Hanna, Aubin s’autorise enfin à pleurer. C’est grâce à la force créative de Hanna qu’il pressent que l’avenir sera possible. J’ai beaucoup de tendresse pour cette sculptrice, j’aurais aimé la rencontrer… Elle est mystérieuse, pétillante, c’est elle qui ramène la vie à la Lunegarde. Au fond, je crois que « le personnage » qui me ressemble le plus, c’est la Lunegarde. J’ai été comme cette maison : ébranlée par un drame, et il m’a fallu accepter le changement, la transformation intérieure, pour me tourner à nouveau vers l’avenir.

ADO-LiVRES : On n’arrête pas les comètes sort incontestablement des sentiers battus. Est-ce le texte le plus personnel que vous avez écrit depuis le commencement de carrière d’écrivain ? Pourquoi ?

Je ne sais pas si c’est le plus personnel. C’est en tout cas le plus viscéral. Mais encore une fois, hormis le thème du suicide de la mère, On n’arrête pas les comètes est une fiction. En revanche, j’ai écrit un texte autobiographique aux éditions Lamartinière Jeunesse, C’est toujours mieux là-bas, sur mon enfance et mon adolescence, où j’ai essayé d’évoquer avec humour mon expérience d’enfant de parents divorcés. C’est étrange d’utiliser un vrai « je ». Assez inconfortable, en fait. Même si on finit par écrire sur soi comme on le ferait avec un personnage. A vrai dire, je suis aujourd’hui convaincue que je me livre beaucoup plus dans les textes de « pure fiction » que dans les textes ouvertement autobiographiques. Derrière le masque d’un personnage, on a moins peur de se laisser aller, de se livrer, on se sent moins vulnérable. On distille des parts de soi à dose homéopathique, de façon plus subtile, mais aussi plus profonde.

ADO-LiVRES : Les questions du langage et de la non-communication sont au centre de votre ouvrage. Pourquoi y occupent-elles une place si importante ?

D’abord, je crois que ça tient au thème du livre. Le suicide est un sujet délicat, souvent tabou. Qui dit tabou dit silence, non-dits. On en arrive tout naturellement au secret de famille. Beaucoup de gens ont peur de parler et deviennent des handicapés du langage. Je l’ai été longtemps, moi aussi (c’est aussi sans doute aussi pour ça que je préfère l’écriture à l’oralité), et c’est là où il y a maldonne. J’ai mis du temps à cerner mon rapport paradoxal au langage. Ma mère était orthophoniste, elle a passé sa vie à rééduquer et à réapprendre aux autres à parler. Et bien, ce qui est fou, c’est qu’elle-même n’a jamais appris à parler. C’est son incapacité à s’exprimer, à verbaliser, qui l’a étouffée à petit feu. Le silence est meurtrier. Les mots, même violents ou choquants, font, à long terme, moins de mal que le silence. Je vais plus loin : aujourd’hui j’ai compris que l’écriture ne remplaçait pas la parole. Contre la souffrance morale, la parole est la meilleure des armes. Je n’ai jamais considéré l’écriture comme un exutoire, je trouve ça illusoire. S’il m’arrive de traiter de sujets difficiles, j’écris toujours avec plaisir, passion, dans le but de partager une expérience, une histoire, et de susciter des émotions, non pour soigner mes angoisses. « La création dans la souffrance », ce n’est pas pour moi !

ADO-LiVRES : Si vous deviez expliquer aux jeunes lecteurs la genèse d’On n’arrête pas les comètes, que leur diriez-vous ?

J’ai mis sept ans à écrire ce livre. D’abord parce qu’il m’a fallu du temps pour le digérer et le rendre transmissible. Mais aussi parce que je l’ai écrit en plusieurs étapes. La première version du roman s’appelait Jusqu’à ce que vie s’ensuive et s’adressait aux adultes. C’était un énorme pudding, une sorte de monstre de Frankenstein dans lequel j’avais voulu mettre trop de choses ; le manuscrit a d’ailleurs été refusé partout. Je voulais le retravailler mais je ne savais pas par quel bout le prendre. Et puis une amie l’a lu et m’a dit : « Et si tu t’adressais plutôt aux adolescents ? ». Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? J’avais l’âge d’Aubin quand ma mère est morte. C’est aux jeunes qu’il fallait évoquer le problème du suicide ; ce sont eux, les plus concernés. J’ai donc énormément élagué et je n’ai conservé que la trame essentielle : l’histoire de ce jeune dont la mère se suicide et qui cherche à en comprendre la raison. J’ai supprimé de nombreux personnages et fait subir au récit un régime drastique : je l’ai réduit au tiers de son poids ! C’est peut-être pour ça qu’il paraît un peu dense…

ADO-LiVRES : Les auteurs prétendent volontiers que leurs romans n’ont pas pour but de faire passer un message aux lecteurs. Est-ce aussi votre cas ou, au contraire, revendiquez-vous la portée morale de ce texte ?

S’il n’y avait qu’un message, ce serait que malgré tout, la vie s’accroche et finit toujours par reprendre le dessus. Je me souviens d’un passage de Et la vie continue, un film d’Abbas Kiarostami, tourné en Iran après le violent tremblement de terre de 1990, dans un décor bien réel. Il y a une scène extraordinaire où des rescapés installent un poste de télévision sur des gravats et improvisent une antenne de fortune avec des bouts de ferraille pour pouvoir suivre… un match de foot ! On voyait ces images incroyables où, en dépit du chaos, du dénuement, de la famine et de la mort, les villageois avaient été rattrapés par la vie et se retrouvaient à parler coups francs et penalties sur les décombres de leurs maisons. C’est sans doute ce message que j’espère avoir fait passer avec mon roman. Cette idée un peu dingue, mais belle, que la vie est une drôle de plante. Elle pousse parfois dans des lieux arides, au beau milieu du désert…