Ateliers d’écriture

Depuis une vingtaine d’années, je mène des ateliers d’écriture très divers.
Ateliers “simples” ou parfois ateliers croisés, en collaboration avec d’autres artistes : illustrateurs, plasticiens, musiciens, marionnettistes…

Tout dépend du projet, mais l’aventure se déroule généralement entre trois et cinq séances, parfois une dizaine, espacées dans le temps, étant entendu qu’entre chacune de mes venues, la classe avance le projet durant mon absence. Il arrive souvent que nous échangions par mails.

Je préfère intervenir lorsque l’enseignant et les élèves ont déjà une idée du thème, d’un genre ou une envie forte. Il ne peut y avoir d’atelier sans alchimie entre l’auteur et l’enseignant et l’aventure est forcément basée sur une confiance réciproque ; nous sommes tous embarqués ensemble sur le même bateau…

Vous trouverez quelques-unes de ces créations en ateliers par ici.

Quelques réflexions sur les ateliers d’écriture :

Un écrivain est, le plus clair du temps, un navigateur solitaire. Pourtant sa création se frotte sans cesse au quotidien, à la foule et à la cité, elle s’y nourrit, se teinte d’expérience vécue et d’émotions qui permettent à l’histoire de se construire dans et avec le temps affectif, suivant son propre rythme, au jour le jour. Un joyeux tressage entre un imaginaire et la vie, concrète et tangible, une vie qui se dilate ou s’émiette, s’étale, se confettise et se transforme, graines d’instants en graines d’instants – couleurs, sons, goûts, odeurs, cris et écrits – dans le récit littéraire.

La création collective en atelier se soumet à une tout autre temporalité et contraintes qui s’apparentent à celle d’un laboratoire. Dans la vie créative de l’écrivain, la plupart de ses idées évoluent en liberté dans un environnement “sauvage” (dans le cas idéal où il parvient à faire abstraction des murs formatés que lui imposent la société et ses propres inhibitions). Dans une classe, l’histoire inventée va devoir le plus souvent compter sur des idées captives, un peu comme dans une volière ; elles n’ont pas le temps de s’ébattre, de courir, de prendre le temps d’apprendre à voler et de se frotter à la vie. Tout l’enjeu de l’écrivain est donc de ruser pour que les idées se libèrent.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, il reste toujours un arrière-goût d’artifice. Il faut user de déclencheurs, provoquer l’envol, d’un cri ou d’une poignée de grains. On le sait, les animaux en captivité se reproduisent moins aisément, il en est de même pour les idées. L’atelier est aussi un lieu de luttes silencieuses, intérieures, de rouages qui se coincent et se décoincent laborieusement.

Charlie Chaplin, Les temps modernes

Il existe pourtant des moments où se produisent d’étranges étincelles, où la créativité des enfants s’émancipe. En général, ces moments échappent totalement à l’écrivain qui les accompagne. Ce sont des instants aussi foudroyants qu’imprévisibles, où les enfants disposent suffisamment de confiance en eux, de désirs et « d’outils » (si tant est qu’il en existe) pour pouvoir créer sur le papier ce que leur imaginaire propose. Comme des apprentis musiciens, soudain affranchis des gammes, découvrant le plaisir de l’improvisation. Alors, ils ne se préoccupent plus de construction, de syntaxe ni de rimes ; ils sont là, tout entiers à l’émotion, au ressenti et à la perception, comme l’automobiliste plongé dans son moteur en panne lève soudain le nez de son capot et s’émerveille devant un oisillon sur le point de voler. Ce sont des instants magiques.

Les enfants “écrivants” ne sont pas des écrivains ; difficile de savoir ce qu’ils emportent de tout ça, mais une chose est sûre : rien ne remplace le faire. Ni le temps, nécessaire complice de la décantation, ce rythme et cette lente digestion que la vie, hors atelier, permet. Rien ne remplace les bottes dans la boue des mots. Les enfants vivent là le surgissement, trempent dans le cambouis du récit, ont plaisir à voir le moteur fou de l’imagination cahoter, démarrer et enfin, l’histoire rouler. Sans théorie, ils se frottent au problème du choix, au ciselage, au rythme et aux rimes, au rapport texte/image. Ils jouent à construire et découvrent le plaisir de jouer à construire.

Quand les gens me demandent : “Mais comment vous y prenez-vous, pour les faire écrire ?”, je leur réponds : « Ma foi, il n’y pas de recette miracle, je fais, moi aussi. » Tantôt artisane, tantôt mineur de fond. Ratures, questionnements, pages blanches et trous noirs, idées laissées sur le bas côté, ardoises effacées, crayons cassés et feuilles froissées…

“J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir.
Là est l’aventure d’être en vie.”
Henri Michaux, Passages, 1950.

Difficile de saisir l’instant t.
L’instant t où le personnage s’extrait des limbes imaginaires pour trouver sa propre autonomie dans une narration possible. S’il on pouvait photographier ce moment subtil, quelle image cela donnerait-il ?

Les histoires préexistent-elles dans un réservoir mystérieux et attendent-elles le moment propice pour jaillir au grand jour ou bien germent-elles sur le terreau du présent ?

Sur le thème de la naissance des histoires, je vous invite à découvrir mon album
Dans la tête de monsieur Adam, illustré par Jean-Michel Payet aux éditions Milan, 2010.