FAQ parcours et portrait

portrait par Sandrine Bonini

Lorsque je fais des rencontres-lectures, il existe des questions irréductibles sur mon parcours et le métier d’écrivain…

Enseignants, bibliothécaires, je vous invite à lire ce qui suit avant ma venue. Ceci permettra d’éviter un peu les généralités (même si je conçois qu’il soit difficile d’y échapper) et d’aborder les histoires et les personnages plus en profondeur.

Certaines des réponses suivants sont extraites d’une interview de Yozone en 2009 au moment de la parution des blue Cerises.
La suite, plus axée autour de l’album, est née d’un échange avec Pierre Le Guirinec sur la littérature jeunesse.

Ici, un portrait vidéo par la Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse :

 

Ici un portrait radiophonique sur France Bleu Isère,
réalisé le 11 juin 2012, par Michèle Caron

Quand et pourquoi avez-vous commencé à écrire ?

Avant d’avoir écrit C’est toujours mieux là-bas, je répondais que l’écriture m’était apparue comme le lien entre trois domaines qui me passionnent et m’ont construite : le fil conducteur entre le théâtre, le cinéma et la chanson. Incapable de choisir entre ces trois arts, j’ai cherché le point commun. La réponse était claire, évidente : je voulais raconter des histoires. Offrir à des enfants le même plaisir qui m’avait fait vibrer en lisant de grands auteurs de la littérature jeunesse tels que Kipling, Roald Dahl, Christine Nöslinger, Selma Lagerlöf, Erich Kästner, Malika Ferdjoukh, Suzie Morgenstern, Marie-Aude Murail, Daniel Pennac, Bernard Friot, Jean-Claude Mourlevat, et j’en passe…

Depuis, j’ai compris que l’écriture était un lien d’une nature encore plus profonde, qui remontait à mon enfance. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais toute petite. Pendant les vacances et les week-ends, j’étais donc toujours frustrée de ne vivre les choses que d’un côté ou de l’autre, sans pouvoir les partager avec mes deux parents à la fois. J’ai très vite découvert le pouvoir de l’épistolaire. Sitôt que j’ai su tenir un stylo, j’ai écrit des lettres. Des lettres à mon père, lorsque j’étais chez ma mère ; des lettres à ma mère lorsque j’étais chez mon père. Peu bavarde, j’ai compris qu’il m’était beaucoup plus aisé de faire passer mes émotions sur le papier, plutôt qu’à l’oral. Les mots sont devenus le seul lien qui nous unissait tous les trois, mes parents et moi.

La feuille est un écran confortable, elle permet de prendre le temps, de peser les mots, de ne pas être surprise ou déstabilisée. Elle est à la fois un immense champ de liberté et un paravent.

J’écris parce que je ne peux faire autrement. L’écriture est viscérale, elle est ce qui me porte, me fait vibrer, m’émeut, me pousse à avancer…

Quel est votre premier livre ?

Mon premier livre écrit ou mon premier livre édité ? Ce n’est pas la même chose.
J’ai écrit de nombreux textes qui sont restés au fond de mes tiroirs. J’ai d’ailleurs commencé par écrire des paroles de chansons avant de venir doucement au conte, puis au roman.

Le premier texte que j’ai destiné à un éditeur était une histoire pour J’aime Lire, intitulé La lune de miel de Graham et Prunelle Petilu, en 1992. Il n’a pas été accepté, mais j’ai reçu une réponse fort encourageante de Sophie Chabot. C’était le temps joyeux où J’aime Lire recevait beaucoup moins de manuscrits et où les membres de la rédaction pouvaient se permettre de répondre à la main… (soupir nostalgique)

Mon premier livre édité a été En roues libres, écrit en 1998. Il est né d’une aventure personnelle. Je venais d’essuyer le refus d’une kyrielle de contes, écrits pour mes fonds de tiroirs. J’habitais Paris depuis quelques années, et l’un de mes proches qui est en fauteuil roulant, est venu me rendre visite. Son passage dans la capitale aussi accessible qu’une ville moyenâgeuse fut épique. Aujourd’hui, Paris a fait des progrès, mais en 1998, rien n’était adapté, c’était pathétique.
Alors sur un coup de sang, j’ai décidé d’abandonner temporairement le merveilleux, les confortables « il était une fois » pour évoquer davantage les sujets de la vie quotidienne qui me touchaient. Et c’est ainsi que En roues libres est né. Mais mon but n’était pas tant de parler du handicap que d’écrire un roman où les deux personnages principaux étaient en fauteuil roulant – ce n’est pas la même chose -. Si l’histoire est totalement fictive, j’ai émaillé le récit de diverses situations vécues, ou vécues par des amis handicapés.

Aujourd’hui, la littérature jeunesse a tendance à nous faire croire que seule la magie et le fantastique peuvent nous faire rêver. J’aime à croire que la vie de tous les jours – pour peu qu’on sache l’apprécier et l’observer -, est la plus magique des choses. La vie est plus invraisemblable, plus magique et imprévisible que tous les scénarios les plus fous. Elle est pleine de poésie si on sait la lire…

En roues libres a été accepté à la fois par les éditions Syros et les éditions Grasset Jeunesse. Marielle Gens (des éditions Grasset) venait de lancer la collection « Lampe de poche », mais elle a eu l’honnêteté et la gentillesse de me prévenir que, le concept étant tout nouveau, les premiers textes avaient besoin d’un délai d’un an avant de voir le jour en librairie. En roues libres est donc sorti chez Syros Jeunesse, pour qui j’ai ensuite écrit huit autres romans. Je suis ravie d’avoir débuté dans cette maison militante, qui défend et met en exergue beaucoup d’idées qui me sont chères : la différence, le respect des droits de l’Homme, l’environnement, etc.

Où aimez-vous travailler ?

Je suis assez nomade, j’écris partout. Mais généralement, je travaille devant mon écran (qui est aussi très nomade chez moi). Je travaille souvent en musique, qui offre une foulée et un rythme particuliers à l’écriture.

Avez-vous une méthode de travail particulière ?

J’infuse longtemps. J’aime observer le quotidien – qui n’a de quotidien que le nom car tout est propice au surgissement. C’est le boulot de l’auteur : essayer de dénicher la brèche et s’y engouffrer. Je passe d’abord beaucoup plus de temps à écrire dans ma tête que devant mon écran. Comme ça, j’imprime moins sur papier, les idées sont biodégradables… Certains passages sont beaucoup retravaillés. Pour enlever, épurer, rarement pour ajouter. J’écris parfois à voix haute comme pour une chanson, le tamis de l’oralité est redoutable. Si je pinaille en me relisant moi-même, c’est que c’est raté. J’ai gardé de mes années cinéma le goût du dialogue « qui sonne juste » (enfin, j’essaie).
Pendant l’écriture d’un texte, je passe du clavier à la feuille papier et au stylo. J’ai besoin des deux supports. Comme j’ai en gros le squelette de mon histoire en tête, j’ai la liberté de ne pas écrire les scènes dans l’ordre chronologique. J’écris au fil du ressenti et des émotions, je commence par les passages qui m’inspirent le plus.

“Auteur en infusion”, croqué par Lo Glasman
Avez-vous un objet fétiche (stylo, ordinateur…) ?

Fétiche ? Non. Mais depuis des années, j’ai une BD de Brétécher, Salades de saison, qui sert de support à mon ordinateur portable quand il est installé sur mes genoux (pardon Claire !) Sinon, je suis très visuelle et il m’est arrivé à plusieurs reprises de conserver une photo en fond d’écran durant l’écriture de tel ou tel roman, une photo qui sert de trampoline à mon imaginaire, sans forcément de lien avec le sujet traité. Plutôt en rapport avec une émotion particulière.

Avez-vous un rituel avant de commencer un livre ? Pendant l’écriture ? Après l’avoir terminé ?

Je ne commence jamais un roman sans avoir fait connaissance avec mes personnages ni sans avoir trouvé la ligne de force. Ensuite, cette ligne peut valser, être tordue, etc. L’écriture se nourrit d’elle-même, j’ai souvent des surprises, tout peut être bouleversé en cours de route, mais j’ai besoin au départ de savoir où je vais sauter en parachute pour prendre du plaisir à sauter. Le vent peut me faire dériver ailleurs… Après avoir terminé un texte, je laisse reposer la pâte, je fais lire à mes proches. J’attends d’avoir moins le nez dans le guidon et du recul pour retravailler. Jusqu’à ce que l’ensemble me semble évident, autonome.

extrait du manuscrit de “Halb, l’autre moitié”
Réponses à Pierre Le Guirinec sur la littérature jeunesse, et plus particulièrement, les albums :

Quelques noms de ma bibliothèque intérieure d’albums : Wolf Erbruch, Rémi Courgeon, Daniela Kulot, Jean-François Dumont, Natali Fortier, Géraldine Alibeu, Étienne Delessert, Zaü, Anne Brouillard, Thomas Scotto, Olivier Tallec, Cécile Roumiguière, Éric Battut, Édouard Manceau…

Mes critères spontanés pour choisir un livre pour un enfant en âge d’aller à l’école : un dessin qui parle, une histoire qui emporte l’enfant sans le porter, éveille l’émotion et le rire, une histoire qui laisse de la place au lecteur, suggère, incite, questionne mais n’impose pas.

Lorsque j’invente une histoire pour un album, je suis une ligne de force, un thème, je ne pense pas à une philosophie ou une morale, sinon, c’est l’impasse assurée ou le ronron. C’est l’émotion, le viscéral qui donnent la forme des mots. Le plus dur pour l’auteur, lorsqu’il s’adresse à des petits, c’est justement d’oublier “le concept” et d’essayer de parler directement à l’enfant.

Quand j’écris un album, je pense avant tout au personnage et à la chair de l’histoire. A faire vivre l’histoire, à susciter le « et après ? ». Quand j’écris un album, je pense – curieusement – très rarement à l’adulte qui va lire le texte. J’essaie plutôt de parler à la môme tapie en moi comme au cœur d’une poupée gigogne. Sinon, je pense à mon neveu, actuellement en CP. C’est lui qui m’a appris à m’adresser aux petits, m’a donné envie de le faire. Mais à vrai dire, si j’arrive à toucher l’enfant, je réussis à toucher l’adulte-accompagnateur, je n’ai donc pas à me soucier de l’adulte. Beaucoup d’albums réussis ont une lecture à double niveau. J’ai écrit il y a quelques années un album, Hôtel de la terre, paru au Seuil et illustré par Julien Rosa.
Les adultes y ont vu la fable et la métaphore sur l’arrivée de l’homme sur terre, un clin d’oeil écologique ; les enfants y ont vu une histoire qui parle de cohabitation et de voisinage.

J’aime lire mes textes aux enfants et voir ce qu’ils suscitent en eux, j’y découvre à chaque fois une nouvelle histoire à laquelle je n’avais pas songé.

Mes créations me jouent toujours des tours. C’est pour ça que j’écris. Pour l’inattendu, l’insoupçonné, le surgissement. Je suis souvent surprise de l’effet produit. Il arrive que les lecteurs me révèlent le pourquoi du texte, parfois des années après. Ce qui est important pour moi, ce n’est pas ce que je voulais raconter, mais ce que l’histoire révèle chez le lecteur. J’aime quand les lecteurs parlent d’eux, de leur expérience, en se servant de mes textes comme tremplin.

Je suis tombée dans la marmite comme Obélix, quand j’étais petite. On m’a raconté beaucoup d’histoires, ma mère m’a aussi emmenée dans de nombreux festivals de contes. J’ai lu énormément. Et j’ai adoré lire des histoires à mon petit frère.

Comment je situe l’album dans la littérature ? Comme la meilleure fenêtre d’où se lancer dans la lecture, la première feuille sur laquelle se hisser, le haricot magique de l’imaginaire littéraire (mais il existe aussi de nombreux albums pour adultes). C’est l’album qui happe l’enfant futur lecteur, qui le prend par la main et les mots, le titille, l’intrigue et le fait rêver (puis créer), c’est l’album qui lui fait aimer les formules magiques, découvrir le plaisir du rituel et de la répétition (le goût de la musique des mots énoncés, prononcés, récités, remémorés, joués, entendus et attendus), les prémices de la poésie et le plaisir de l’apprentissage. Sans album, pas de dévoreur de roman plus tard.

Je m’intéresse aux écrits et recherches sur la littérature jeunesse parce que la création est pavée de doutes et de questionnements. Ce sont les questions qui me lancent à chaque fois à l’assaut d’une nouvelle idée et d’un nouvel album. A chaque fois, je me demande : “seras-tu capable ?” ou : “est-ce possible ?”

Les mots qui résonnent avec ma démarche d’auteur :
Questions – plaisir – émotion – cinq sens – humour – poésie – surgissement – souvenir

Quand je songe aux albums qui m’ont touchée : dans ces livres-là, le vrai sens de l’histoire jaillissait de la rencontre entre le texte et l’image. Dans les albums les plus aboutis, texte et images ne racontent pas la même histoire. C’est le mariage réussi entre les deux (texte/images) qui permet de faire naître une troisième histoire, celle que décryptera et « créera », plus tard, le lecteur, en donnant sens à l’ensemble grâce à son propre imaginaire.
J’écris aussi pour les adultes. J’ai commencé par écrire pour les grands. Mais j’ai mis dix ans avant de réussir à écrire pour les petits. Je trouve très complexe de faire simple.

L’album sans texte suppose une histoire intérieure, comme une mélodie composée lors de la création, que le spectateur n’entend pas mais devine à la lecture des images, une mélodie intérieure qui porte en elle un rythme. Est-ce là de la littérature ? Je ne sais pas… C’est de l’art, oui. De tels albums poussent les enfants (et les adultes) à créer leur propre littérature, c’est sûr…