Rencontres, ateliers, moments volés

Boîte-En-Roues-Libres

Parce que je suis parfois émerveillée par la créativité des élèves que je rencontre dans les classes, je ne résiste pas à vous présenter un petit échantillon.Toutes les illustrations de cette page sont des boîtes créées par des élèves de 5ème du collège de Dozulé (Calvados) à partir de mes livres, sous l’oeil créatif de l’auteur-illustrateur-plasticien Olivier Thiébaut.

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Collège Jules Ferry, Douai, 2003.

Il est 9h52 heures, les chaises ont été installées dans le CDI, spacieux, ouvert. Dans quelques instants, les élèves vont arriver. Ils ont lu trois de mes romans, l’échange promet d’être riche. Comme à chaque rencontre, je m’imprègne du lieu, je jette un œil furtif aux étagères du CDI ; entre deux romans, j’aperçois Le cahier rouge. Tiens, Claire Mazard, une amie, il est chouette ce CDI…

10h00, le petit groupe surgit, s’installe, me dévisage à la dérobée. Anne Douville, la documentaliste, me présente. C’est elle, l’auteur ? Oui, c’est moi. Ce sont eux, les lecteurs ? Les deux extrémités de la chaîne du livre réunis dans une même dimension… Les premières secondes sont toujours aussi intenses que nébuleuses. Auteur-lecteurs, on se cherche, chacun de part et d’autre de cette frêle frontière presque magique. Je leur laisse une ou deux minutes pour la franchir. Des murmures. Intimidés ? Déconcertés, déçus ou enthousiastes ? ” Elle a l’air cool “.
Je souris intérieurement. Je ne veux pas m’asseoir, j’ai besoin de mouvement.

Les premiers instants, les visages se penchent sur les feuilles où ont été inscrites les questions, puis peu à peu, les feuilles-paravents tombent, se froissent, disparaissent, les élèves prennent confiance, s’enhardissent, s’affirment. Ils viennent de découvrir que j’étais une femme de chair et d’os, avec mon sac à dos et mes brouillons de manuscrits, mes cahiers raturés et mes collages, je ne suis plus un nom abstrait sur une couverture.

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Je suis là, présente aux côtés de mes livres, sortie de ma bulle de papier, je déambule, je vis. Un auteur, ça n’est pas toujours vieux, à lunettes et mort depuis plusieurs siècles. Ça peut carburer au chocolat noir, avoir des allergies aux acariens, collectionner les B.O de films, rêver d’astronomie et de nuits à la belle étoile. C’est fait aussi de désirs, d’erreurs, d’incertitudes, de craintes et de passions.

Je suis là, avec mes projets, mes souvenirs, ils découvrent les débuts poussifs, les lettres de refus, les titres modifiés, les cheminements créatifs sinueux, les ratés, les coulisses de l’écriture. Le fameux ” making-off “. J’évoque la naissance de mes personnages, les recherches aux archives pour Ces ouvriers aux dents de lait, qui frôlèrent parfois l’enquête sherlock-holmesque, les voyages, sources inépuisables d’inspiration.

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J’ai apporté un jeu d’épreuves, ils s’étonnent de le voir truffé de corrections, ” comment vous entendez-vous avec votre éditrice ? ” (ils l’ont rencontrée quelques semaines auparavant ; l’occasion rare de découvrir les différents acteurs du livre).
Le livre n’est plus un simple objet qu’on flaire du bout des yeux, il est le fruit d’une histoire vécue, un média mouvant. Les élèves sont là aussi, avec leurs attentes, leurs interrogations, leurs envies de lecteurs, leurs remarques, leurs opinions.

Si certains restent encore timides, d’autres m’interrogent bientôt avec audace (” avez-vous eu une enfance heureuse ? “), je sens une attention soutenue, une curiosité mêlée d’étonnement. Les questions fusent tous azimuts : “pourquoi ce titre ?”, “avez-vous toujours des idées ?”, “pourquoi avoir choisi d’aborder ce thème ? “, ” quand vous étiez au collège, est-ce que vous lisiez beaucoup ? ” “aimez-vous votre métier ? est-ce qu’il n’est pas trop difficile ? on peut en vivre ?”, “vous avez un roman en cours ?”.

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J’extirpe la couverture de mon prochain livre dont la sortie est imminente. Une avant-première, leur dis-je. Les regards s’éclairent. Durant deux heures, ils auront écouté respirer une histoire aux cinq sens, et moi, j’aurai eu la chance, une nouvelle fois, de rencontrer ceux pour lesquels j’ai envie de poursuivre ce métier jusqu’à plus d’encre…

Fontaine (Isère), 2006

« J’avais peur qu’il vous manque un œil ou une oreille », me confie Catherine, la bibliothécaire, à mon arrivée.
Son idée était étonnante : quelques semaines avant ma venue, créer un grand puzzle à partir d’une photo de moi. Et au fil des lectures des enfants, le reconstituer, pièce après pièce, suivant le principe « un livre lu = une pièce disposée ». Je constate que mon portrait est presque complet et qu’il ne me manque qu’une mèche de cheveux. Ils ont donc bien lu…

Quand Catherine m’a contactée, elle m’a proposé six rencontres avec des classes du collège Gérard Philippe, plus une soirée tout public à la bibliothèque Paul Eluard.
« J’ai vu que vous étiez parolière, outre la lecture d’extraits, pourriez-vous aussi nous chanter deux ou trois de vos chansons ? »
« Euh… »
Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai dit : « …oui. »
Dix ans que je n’avais pas chanté en public.
Je suis morte de trouille.
Un ami musicien, Lo Glasman, accepte de me suivre dans l’aventure.
Le premier à avoir mis en musique mes textes balbutiants. La boucle est bouclée.

Jeudi 11 mai. 15h00. Collège Gérard Philippe.
Ils savent tout. (Enfin, ils le croient).
Combien d’histoires endormies au fond de mes tiroirs,
combien de tablettes de chocolat avalées avant de tutoyer mes personnages,
combien de lettres de refus tapisseraient leur CDI,
combien d’années à écrire avant le premier manuscrit édité,
combien de brouillons empilés,
combien de fenêtres ouvertes,
combien de vies imaginées,
combien de cartouches d’encre,
combien de nuits et de pages blanches,
combien de gares parcourues,
combien de trains manqués,
combien de couvertures imposées,
combien d’exemplaires vendus,
combien de titres corrigés,
combien de mois d’attente,
combien de fins recommencées,
combien de rêves en bouteilles,
combien de marins,
combien de capitaines,
combien de dialogues déclamés devant le clavier,
combien de gaffes parce que j’étais dans la lune,
combien d’idées notées en vrac dans le métro
au supermarché dans la salle d’attente de l’ORL,
combien de je ferai mieux la prochaine fois.
Oui, ils savent tout ça.
Ils savent même où, pourquoi, quand, comment.
Ils savent le quantifiable, l’explicable, le concret, ils apprennent la rature.

Mais ai-je réussi à leur parler
du si seulement,
du je ne sais pas,
du et pourquoi pas ?,
du rien, du tout,
du à naître, du en germe,
du à oublier, du provisoire ?
De cette liberté inouïe au bout des doigts, au bout du stylo. Liberté absolue qui n’existe que là, oui, là, sur cette feuille ou sur l’écran. Liberté d’être un homme, une femme, un vieillard, une girafe, un rocking-chair, une planète improbable, une étoile de mer, un bloc de granit, un olivier centenaire, un mort oublié, un enfant qui ne naîtra jamais, un noyau de cerise…

Cette liberté qui vient taper au carreau le soir même, alors qu’un enfant de six ans m’interroge :
« Comment vous faites pour écrire quand y’a pas de lignes ? »
Merci bonhomme, de me rappeler l’essentiel.
C’est justement quand il n’y a pas de lignes que j’aime écrire.