À Françoise Mateu

“Sigrid, un album, ce n’est pas un concept ! Il doit attraper le lecteur par la main et l’emporter”, m’avait-elle lancé un jour, alors que je lui apportais la énième version bancale d’un texte. “Tu vois cette chaise, là ? Eh bien imagine un môme de quatre ans dessus. Il faut qu’il y reste assis durant toute ton histoire. C’est aussi simple que ça.”
Sur ce, elle m’avait mis entre les mains un album de Peter Schössow, Mais pourquoi ??! qui racontait la colère et l’incompréhension d’une petite fille face à la mort de son canari, Elvis.
Elle savait que ça me parlerait, Françoise, une histoire de deuil traitée avec la délicatesse et le recul de l’humour. Elle faisait d’ailleurs souvent mouche, avec son regard malicieux d’éditrice, ses lunettes à formes variables, son rire et ses colères d’enfant gourmand.

Il y a quelques jours s’est éteinte une grande dame d’un mètre cinquante à qui je dois les fondations de l’auteur que je suis aujourd’hui.
C’est elle qui, un jour d’hiver 1998, m’a fait signer aux éditions Syros La découverte (au temps de la rue Abel Hovelacques…) mon premier roman En roues libres, au sein de la magnifique collection “Les uns les autres” lancée par Germaine Finifter. J’étais fière d’avoir bâti mon nid dans une maison engagée, ouverte sur le monde et les autres cultures.
Au fil de ses mille projets et expérimentations, elle a porté quinze de mes livres avec Caroline Drouault. Car Françoise portait la création d’un auteur dans son entiereté, brillant ou mat, elle était de celles et ceux (rares), qui adoptent un auteur et pas seulement un livre.
Elle m’a poussée parfois dans mes retranchements, elle n’a pas reculé lorsque je lui ai tendu le manuscrit de On n’arrête pas les comètes, qui abordait un thème pourtant âpre et me tenait à coeur. Aucun sujet ne lui faisait peur. Elle prenait les enfants pour ce qu’ils sont : des lecteurs exigeants et intelligents. “Ne m’explique pas que ton personnage est timide, trouillard, colérique ou paranoïaque” me répétait-elle, “mets-le en situation, en action, le lecteur est assez grand pour se faire sa propre opinion. L’auteur n’est pas là pour commenter, il est là pour montrer.”
Je suis partie plusieurs fois dans sa valise lorsqu’elle a voyagé de Syros-Nathan au Sorbier, puis au Seuil, avalé ensuite par Lamartinière.
Aujourd’hui, comme la gamine de Peter Schössow, je traîne mon sac.
Et je gueule  “Mais pourquoi ??!”